Les grottes des Hautes Terres de L’Ouest Cameroun
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Le royaume souterrain de Batié

Les cases bamiléké aux toits coniques

Invité par le roi de Batié à venir voir les grottes de son village, nous partons de très bonne heure pour la dernière journée de terrain de cette expédition à l’Ouest Cameroun.

Batié se situe sur un sol granitique, et je ne m’attends pas à trouver grand chose : quelques abris sous roche, entre des blocs empilés, tout au plus.
Nous arrivons, Clovis et moi, vers 10h à la chefferie, après avoir pris la piste non goudronnée qui, passant par Bansoa et Bamendjou, traverse une zone où les entrées des concessions sont systématiquement surmontées des toits coniques Bamiléké. « Conique » est le terme en usage, bien que ces toits soient plutôt pyramidaux.
En principe, il s’agit d’un symbole de notabilité, mais soit les notables sont de plus en plus nombreux, soit la tradition est plus tolérante, car les toits coniques croisés sont innombrables de ce côté.

Arrivé au palais royal, le chef nous adjoint deux guides : son serviteur (qui, je l’apprendrai plus tard, a pour mission de me suivre partout où j’irai), et un chasseur, qui connaît bien la zone. Clovis est étudiant en histoire, et le chef lui donne un cahier avec pour tâche de prendre des notes au cours de la journée et de les lui remettre à la fin de la journée.

Nous voilà donc parti, guidé par le chasseur, dans notre petite toyota corolla sur les pistes défoncées de Batié. Nous traversons un petit village où les enfants jouent au foot sur la place centrale. Touffes d’herbe, nids de poule accidentent le terrain, et pieds nus, ils jouent certainement mieux que moi.
Peu après le village, nous garons la voiture. Le sol est rouge vif, la végétation verte, et de grosses boules granitiques (5 à 20m de diamètre) sont posées sur les collines qui nous entourent. Nous sommes en bordure de la faille de Batié, qui sépare le pays en deux par une large et profonde vallée.

Nous allons voir une première grotte, simple abri sous roche qui servait de lieu de quarantaine pour les lépreux à l’époque précoloniale.

La grotte des lépreux

Puis le chasseur me dit qu’il nous conduit dans une grotte noire, où l’on ne touche pas le plafond lorsque l’on lève les mains. Puis il rajoute qu’il a apporté la bonne lampe pour nous conduire. Il sort une belle lampe frontale, de bonne qualité. Enfin vais-je peut-être voir une « vraie » grotte à l’Ouest.

Il est 11h, le soleil tape fort. Nous commençons la marche en suivant les sentes formées par les troupeaux de bœufs. Heureusement que nous ne sommes qu’en début de saison des pluies et que les herbes ne sont pas trop hautes. Mais dans ce relief montagneux, nous transpirons à grosses gouttes. Nous descendons régulièrement, jusqu’à arriver en bordure d’une combe où coule un petit torrent. L’humidité contribue à l’épanouissement d’une végétation luxuriante, et les agriculteurs locaux ont établi une bananeraie au fond. Sortant de mes réflexions, nous constatons que le guide est perdu. Dans cette brousse, il ne retrouve plus l’entrée de la grotte. Clovis, Christian Ludovic et moi restons à souffler, trempés, tandis que le chasseur continue ses recherches. Il nous dit que la seule fois où il est entré dans cette grotte, c’était il y a 25 ans… Nous observons la végétation, les arbres inconnus, écoutons les oiseaux, regardons les termites. J’apprends que le rôle de serviteur du chef n’est en fait pas une sinécure. C’est un esclavage traditionnel, mais c’est considéré comme un honneur. Le serviteur doit rester au service du roi durant 9 ans (ou s’acquitter d’une somme d’argent pour s’affranchir). Ses droits sont réduits, il ne peut notamment pas se marier. La société Bamiléké est vraiment est très structurée, parfois injuste pour l’individu, mais procure une grande cohésion sociale, et un fort désir de s’élever qui est le moteur du dynamisme Bamiléké.

Notre chasseur vient de trouver la grotte. Nous le rejoignons. Moi qui croyais trouver un porche en bordure du ruisseau, je suis surpris : La grotte s’ouvre à flanc de colline, par un petit puits de deux mètres qu’il faut désescalader. Bien. Très bien. A l’intérieur, une jolie petite salle de 10m de diamètre, creusée dans le granite. Oui, creusée : c’est exceptionnel, car le granite est normalement insoluble.

La mygale
Les deux crochets de la mygale
Ca fait peur...

On fait rapidement le tour de la salle. Au sol, un amoncellement de petits bouts de granite désagrégé. Quelques chauves-souris s’envolent. Un passage bas au fond de la salle m’oblige à m’allonger et continuer en rampant. Après 4m de reptation, je me retrouve nez à nez avec une mygale de 9cm, au milieu de sa toile, et je préfère faire demi-tour.

Tout le monde est entré dans la grotte puisqu’elle n’est pas sacrée. Le chasseur parle à voix forte avec Christian Ludovic et le serviteur du roi, tandis que Clovis et moi commençons à lever la topographie.
Une question tourne sans arrêt dans ma tête : que mange la mygale ? Il y a quelques chauves souris, mais à part ça, très peu de faune : pas de cafards, pas d’insectes, pas de mouches, pas de criquets… Et pourtant, quelque belle bête.

La salle creusée dans le granite

Au moment de me remettre à plat ventre pour continuer la topographie dans le passage bas, Clovis me dit qu’il n’ira pas. Le chasseur, calme jusqu’à présent, me dit de faire attention, et s’il y a un totem, que je fasse demi-tour. Le mot totem est à traduire par double-animal. Chez les Bamiléké coexistent deux types de personnes : les gens simples et les gens compliqués. Les gens compliqués sont ceux qui sont plus ou moins liés à la sorcellerie, la magie, ou au divin. Très souvent, les gens compliqués ont un totem. Cela peut être un éléphant, un lion, une panthère (pour les rois), mais avec la disparition de ces animaux à l’Ouest, les totems d’aujourd’hui sont plutôt des rats, des perdrix, des serpents, des singes…
Le sorcier peut utiliser son animal pour augmenter sa force ou son pouvoir. En tant que serpent, il peut monter au sommet des grands arbres. S’il a pour totem un oiseau (il est un oiseau-garou), alors il peut aussi se transformer en cet oiseau pour se déplacer plus vite ou s’enfuir.
Mais attention, les gens compliqués coexistent avec leur doublure, leur totem ; ils sont intimement liés. C’est-à-dire que si un totem-hérisson est tué par un chasseur, alors le possesseur de ce hérisson meurt instantanément. Avoir un totem peut ainsi être très dangereux. Il faut donc faire attention à bien cacher son totem, de préférence à l’extérieur de sa chefferie d’origine. Souvent, les grottes sont des lieux de prédilection pour cacher son totem. Fin de la digression.

Je m’aventure à plat ventre, sur un sol en terre, prends quelques mesures, constate que le serviteur me suit. J’approche de la mygale. Soudain, alors que je pose la main au sol pour m’avancer un peu plus, crouich, le sol se dérobe sous ma main, et un trou de 20cm de diamètre, 15cm de profondeur se forme. J’avance encore. Crouich. Un autre trou.
Je regarde de plus près : tout le sol de cette partie de la grotte est sous-miné par des galeries souterraines de termites. Ayant effondré deux « chambres », on peut voir l’intérieur de la termitière, avec des autoroutes de termites, des termites gros et bruns, jaunes paille au long ventre, rouges vif avec une énorme tête, termites guerriers, termites bâtisseurs… Tout ça est très intéressant. Je m’approche de la mygale, qui se recroqueville, et je distingue au pied de la toile un cimetière de termites. En observant attentivement le sol, on peut voir des pseudo scorpions, de nombreux acariens, des cloportes, des fourmis, des petites mouches. Dans les salles de termites, des champignons poussent… C’est tout un écosystème qui vient de se révéler.

Araignée
Un pseudoscorpion

Nous ressortons de la grotte. A 14h passé, le soleil est encore plus puissant. Nous préférons remonter dans la combe, à l’ombre des bananiers. Le chasseur nous coupe un régime de bananes mûres, et chacun à droit à ses deux ou trois bananes pour la route.
A suivre

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